L’épigénétique et le cerveau

Qu’est-ce qui fait de nous ce que nous sommes? Certains pourraient dire que ce sont nos gènes qui ont la plus grande influence sur le contrôle de notre personnalité et de nos préférences. D’autres pourraient dire que c’est notre environnement et les expériences uniques que nous avons vécues au cours de notre vie qui jouent un rôle plus important. En fait, il faut bien admettre que ce sont les deux. Alors comment ? L’épigénétique pourrait nous permettre de résoudre ce mystère.

 

Qu’est-ce que l’épigénétique ?

 

L’épigénétique est l’étude des mécanismes modifiant de manière réversible et transmissible les changements d’activité de gènes en ne touchant pas à la séquence d’ADN. L’épigénétique ajoute une information supplémentaire au génome pour lui permettre, en fonction de son environnement, d’exprimer ou non un ou des gènes. In fine, cela permet aux cellules de s’adapter à leur environnement.

 

  • Les marques épigénétiques

Pour « contrôler » l’expression des gènes, il existe, en plus des régulations classiques, ce qu’on appelle des marques épigénétiques, qui vont servir de signalisation, soit d’activation, de répression ou d’inhibition totale de certains gènes. Il faut noter que ce n’est pas définitif comme peut l’être une mutation dans un gène : ces marques peuvent être retirées de leur emplacement, c’est un phénomène réversible.

 

  • Influence de l’environnement

Toutes les cellules de notre organisme se différencient à partir d’une même cellule souche, et chacune acquière des fonctions et des morphologies différentes: une cellule neuronale est bien différente d’une cellule musculaire alors que toutes les deux ont le même patrimoine génétique. Les gènes suivent donc la signalisation apportées par les marques épigénétiques en fonction de l’environnement cellulaire.

Les modifications épigénétiques peuvent être changées par l’environnement au sens plus global. Dans le cadre d’expérimentations, nous avons montré chez des modèles murins qu’un enrichissement cognitif, c’est-à-dire un environnement stimulant particulièrement les capacités cognitives, a un effet bénéfique* sur la mémoire ainsi que sur certains gènes d’activité et de plasticité neuronale indiquant une meilleure transmission des messages nerveux. Ces modifications sont corrélées avec des changements épigénétiques sur ces gènes.

D’autres facteurs environnementaux positifs incluent une bonne nutrition, l’activité physique, l’éducation, les plaisirs. Attention, l’environnement n’est pas toujours favorable : le stress, les polluants chimiques, atmosphériques, une mauvaise alimentation, les infections, ou encore des traumatismes peuvent impacter négativement la réponse de notre organisme via des changements épigénétiques.

* en comparaison à un environnement standard sans stimulation supplémentaire.

 

Quel lien avec le cerveau?

 

  • Epigénétique et développement du cerveau

Les modifications épigénétiques de la chromatine interviennent tout au long de la maturation du cerveau. Notamment, le jeune cerveau est très sensible aux variations épigénétiques qui peuvent être apportées par l’environnement. Ces modifications sont les plus importantes lorsque le développement du cerveau est important comme au cours du développement embryonnaire, mais il faut savoir qu’elles le sont également au niveau post-natal car le cerveau n’est pas totalement terminé à la naissance. Des ajustements se font jusqu’à la fin de l’adolescence permettant par exemple la myélinisation des neurones. Face aux facteurs environnementaux tels que la pollution ou les drogues, qui peuvent produire des effets significatifs si le cerveau est encore en cours de maturation, soyons vigilants !

 

  • Epigénétique et maladies du cerveau

 

Les dérégulations épigénétiques et les maladies neuropsychiatriques sont étroitement liées. En effet, la plupart des mutations génétiques trouvées sur des gènes associés à l’épigénétique sont responsables de maladies associées à des syndromes neurologiques et psychiatriques.

D’autre part, si certains facteurs de risque génétiques sont établis dans l’émergence de maladies psychiatriques telle que la schizophrénie, l’environnement négatif pourrait favoriser leur développement via des modifications épigénétiques. C’est le cas par exemple d’un stress précoce, comme le modèle de séparation maternelle, dont les répercussions épigénétiques ont été mises en évidence dans le contrôle de la production de glucocorticoïdes qui persistent tout au long de la vie de l’animal et qui sont mises en parallèle avec une altération de sa résistance au stress.

Des changements épigénétiques ont été rapportés dans quasiment toutes les maladies neurodégénératives, où ici, elles sont plutôt une conséquence de la maladie. Il a été montré qu’un défaut de régulation de ces modifications va fortement impacter le métabolisme des différentes cellules du cerveau,  leurs interactions entre elles, ainsi que plus spécifiquement la plasticité des neurones et leur capacité à communiquer entre eux.

 

  • Epigénétique et perspectives de traitement

Contrairement aux mutations génétiques, les régulations épigénétiques sont réversibles. Ceci est fondamental car si les marques épigénétiques sont réversibles, il doit être possible de corriger celles qui posent problème, en particulier celles associées à des maladies. C’est le principe des « épi-médicaments » et beaucoup de molécules sont en cours de développement, notamment en cancérologie. Cependant les épi-médicaments sont encore loin d’être spécifiques, ce qui leur confère une toxicité au sein de l’organisme, d’où la nécessité d’études supplémentaires. Allier des traitements épigénétiques avec d’autres types de traitements (non pharmacologiques de type : enrichissement de l’environnement ou activité physique) est une piste thérapeutique plus qu’intéressante.

 

Rédaction :

Anne-Laurence Boutillier, Directrice de Recherche CNRS au Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Adaptatives de Strasbourg.

Anaëlle Burgard, doctorante au Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Adaptatives de Strasbourg.

 

Photos :  Image adaptée de Wolstenholme et al. Horm Behav. 2011 / Pexels / Unsplash

 

L'épigénétique de façon imagée

L’épigénétique est comme le chef d’orchestre qui dirige la symphonie de nos gènes dans chaque cellule. Imaginez le génome (tous les gènes) comme une partition de musique. L’épigénétique donnerait le tempo : en contrôlant le rythme des notes jouées, parfois effréné, parfois modéré ou retenu, sans changer la séquence de ces notes.

Les marques épigénétiques : aller plus loin

Les marques épigénétiques sont positionnées par des protéines spécialisées sur l’ADN ou sur les protéines qui le structurent : les histones. Une marque épigénétique connue est la méthylation de l’ADN, c’est l’ajout d’un atome de carbone et de trois d’hydrogène sur l’ADN.

Mieux comprendre le principe de l'épigénétique : exemple du gène agouti

Le gène agouti régule et détermine la couleur du pelage des mammifères tel que la souris. Les marques épigénétiques (ici la méthylation de l’ADN) peuvent être apportées par l’alimentation. Suivant le régime alimentaire maternel, le gène agouti pourra être très méthylé, alors le pelage sera plus brun (gène agouti « éteint »), et au contraire, si le gène agouti s’exprime (moins de méthylation), le pelage des souris tendra vers le jaune. C’est comme ça que l’on retrouve des souriceaux de différentes couleurs de pelage, du brun chiné au jaune dans une même portée. Aussi, la méthylation du gène agouti peut être transmise aux générations suivantes.

Gardons en tête que si les adaptations sont moins sensibles ou moins présentes à l’âge adulte, elles peuvent toujours se faire, même chez la personne âgée.

Notamment, de nombreux exemples existent où a été montré l’importance des régulations épigénétiques dans la programmation de l’expression des gènes nécessaires à la plasticité neuronale et à la formation de la mémoire à long terme. Bonne nouvelle : ce type de régulation peut encore être mis en jeu dans le cerveau adulte ou âgé. L’enrichissement de l’environnement et l’activité physique, par exemple, peuvent même être efficaces chez les personnes âgées souffrant de maladies neurodégénératives.

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