L’apport alimentaire d’un acide aminé, la sérine, pourrait aider à restaurer la mémoire spatiale des patients Alzheimer
Des travaux menés par des chercheurs français du laboratoire des maladies neurodégénératives (CNRS/CEA/Université Paris-Saclay) et du Neurocentre Magendie (Inserm/Université de Bordeaux) ont récemment mis en évidence un rôle clé d’une voie métabolique dans la maladie d’Alzheimer. Leurs travaux, publiés le 3 mars 2020 dans la revue Cell Metabolism*, montrent notamment qu’un apport complémentaire en sérine, un acide aminé produit par l’organisme, peut restaurer la mémoire spatiale affectée chez des modèles murins de la maladie d’Alzheimer. Une stratégie prometteuse pour lutter contre le déclin cognitif associé à certaines maladies neurologiques, qui reste à être confirmée chez l’Homme.
La maladie d’Alzheimer
Selon le rapport 2019 d’Alzheimer Disease International, plus de 50 millions de personnes dans le monde vivent avec une démence, chiffre qui devrait passer à 152 millions d’ici 2050. La maladie d’Alzheimer représente la première cause de démence dans le monde (60 à 80% des cas). En France, on estime à 1,275 millions de personnes touchées par cette pathologie en 2020, qui serait la 4ème cause de mortalité. La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative résultant d’une détérioration lente, progressive et définitive des neurones au niveau de l’hippocampe (structure du cerveau essentielle à la mémoire), ce qui provoque en premier lieu des troubles de la mémoire. La dégénérescence s’étendant par la suite au reste du cerveau, les fonctions exécutives ou l’orientation dans le temps et dans l’espace peuvent aussi être impactées. Bien que la compréhension de ce trouble au niveau cellulaire et moléculaire progresse fortement depuis quelques années, aucun traitement curatif n’existe encore à ce jour.
Contexte et description de l’étude scientifique
Aujourd’hui, les chercheurs tentent de plus en plus de comprendre les dérégulations intervenant dans le cerveau durant les phases précoces de la maladie, afin de pouvoir agir avant que les lésions cérébrales et les symptômes soient trop avancés. L’altération d’une voie métabolique, la glycolyse (voie qui dégrade le glucose pour produire de l’énergie), a ainsi été souvent observée au début de l’évolution de la maladie d’Alzheimer, sans que l’on comprenne si et comment cette dérégulation contribuerait aux déficits cognitifs de la maladie d’Alzheimer. L’étude effectuée par Gilles Bonvento et ses collaborateurs sur des modèles murins de la maladie d’Alzheimer a permis de montrer par quels mécanismes cette voie métabolique peut altérer la mémoire spatiale, et comment cette dernière peut être rétablie via l’alimentation.
Implication du métabolisme astrocytaire de la L-sérine
Dans le cerveau, les neurones sont associés à d’autres types de cellules nommées cellules gliales, qui participent au développement, à la maintenance et à la protection des neurones, mais aussi directement à l’activité des synapses, les connexions entre neurones. Les astrocytes, un sous-type de cellules gliales, produisent et libèrent la L-sérine via le métabolisme énergétique du glucose. La L-sérine peut être transformée en D-sérine, connue pour stimuler un certain type de récepteurs, les récepteurs NMDA. Ceux-ci sont nécessaires à un processus nommé potentialisation à long terme, mécanisme de renforcement synaptique essentiel à l’apprentissage et la mémorisation.
Dans cette étude, les scientifiques français ont utilisé des souris modèles de la maladie d’Alzheimer, présentant des altérations de la mémoire spatiale. Ils ont découvert que ces souris présentent une réduction du métabolisme du glucose dans les astrocytes, conduisant à une diminution de production de la L-sérine et de la D-sérine. Face à cette diminution de la disponibilité en D-sérine, une moindre activation des récepteurs NMDA a été démontrée, entraînant alors une altération du processus de potentialisation à long terme, ce qui explique les troubles de la mémoire observés. Des déficits similaires ont été détectés en inactivant directement la voie de synthèse de la L-sérine dans les astrocytes de l’hippocampe des souris, ce qui soutient un rôle clé de la L-sérine astrocytaire dans les troubles de la mémoire.
Les chercheurs ont ensuite voulu savoir si une supplémentation en L-sérine dans le régime alimentaire, non toxique pour les reins contrairement à la D-sérine, pouvait permettre de restaurer l’activité des récepteurs NMDA, ainsi que la plasticité synaptique et la mémoire associées. Résultat : après deux mois d’un tel régime, les souris « Alzheimer » réussissent avec succès le test de mémorisation spatiale auquel elles échouaient avant le traitement. Ces résultats suggèrent que la L-sérine orale serait une piste thérapeutique intéressante à approfondir dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, ou d’autres pathologies associées à des altérations du métabolisme cérébral
Ainsi de façon intéressante, une autre étude récente** menée à l’Université de Miami révèle qu’une supplémentation chronique en L-sérine permet de ralentir la progression de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) chez un modèle animal. L’étude plus approfondie de cet acide aminé pourrait donc être source d’innovations thérapeutiques pour plusieurs troubles neurologiques.
*Impaired of glycolysis derived L-serine production in astrocytes contributes to cognitive deficits in Alzheimer’s disease. Le Douce et al. Cell Metabolism, 2020.
**L-serine reduces spinal cord pathology in a vervet model of preclinical ALS/MND. Davis et al. J. of Neuropathlogy & Exp. Neurology, 2020.
Qu'est ce que la sérine?
La sérine est l’un des 22 acides aminés codés par l’ADN. Les acides aminés sont des molécules à la base de la composition des protéines, qui vont, en fonction de leur assemblage, donner aux protéines des propriétés et des fonctions bien précises. Certains acides aminés sont exclusivement apportés par l’alimentation, comme la leucine ou la thréonine. D’autres peuvent être également synthétisés par l’organisme, c’est le cas de la sérine. Son apport alimentaire n’est donc pas primordial, sauf par exemple en cas de maladies entraînant un déficit en sérine. Les aliments enrichis en sérine sont par exemple les œufs, le lait, le fromage, le poisson ou la viande.