La dépression induite par le stress : quels sont les mécanismes ?
Mis à jour le 13/12/23.
Titre du projet : Vulnérabilité à la dépression induite par le stress : régulation opposée par la sérotonine et la neuroinflammation ?
Porteur du projet : Luc MAROTEAUX – Institut du Fer à Moulin (Paris)
Montant des devis du projet : 80 000 €
« Au nom de tous les participants à ce travail, nous remercions la FRC pour son soutien à nos recherches. Ce financement a permis à nos deux équipes de travailler de manière complémentaire sur une des pathologies les plus fréquentes, la dépression associée ou non au suicide. Nous avons apprécié cette complémentarité dans nos approches, nos questions, nos interprétations. Or ce rapprochement entre cliniciens et approches précliniques, a vraiment été possible grâce à la dimension large et généraliste de la FRC« . – Luc Maroteaux
Descriptif du projet :
L’exposition prolongée à un environnement agressif entraîne des conséquences à long terme sur les fonctions cérébrales. Parmi ces agressions, la réaction au stress peut devenir nocive selon la période, la durée de l’exposition, et le contexte génétique. Au niveau biologique, un stress prolongé peut induire une perturbation du système de la sérotonine et une neuroinflammation, avec notamment une activation des cellules immunitaires présentes dans le cerveau (microglie). Au niveau clinique, un stress chronique prolongé peut également favoriser l’émergence de troubles dépressifs et suicidaires chez des personnes vulnérables. Ces données suggèrent que la sérotonine et la neuroinflammation pourraient avoir un rôle dans la survenue d’une dépression induite par le stress. Des résultats précédemment obtenus par l’équipe du Dr Luc Maroteaux indiquent que, chez le modèle murin, l’absence d’un des récepteurs de la sérotonine, le 5-HT2B, augmente la réponse microgliale à une inflammation et accélère l’apparition d’un état dépressif suite à un stress social chronique. Cela pose la question de savoir si et comment la sérotonine peut interagir avec la microglie pour moduler la réponse au stress.
Ce projet aura pour objectif de tester l’effet combiné d’un stress chronique de défaite sociale, et d’une exposition préalable à une infection. Pour cela, l’équipe de Luc Maroteaux étudiera les mécanismes cellulaires qui sous-tendent le rôle protecteur de la sérotonine en cas de stress de défaite sociale et les effets d’une stimulation immunitaire avant un épisode de stress. Des analyses seront effectuées sur des souris pour lesquelles la réponse à la sérotonine ne peut avoir lieu soit dans la microglie soit dans les neurones à sérotonine (suite au blocage du récepteur 5-HT2B). L’équipe de recherche analysera la cinétique d’apparition des comportements dépressifs et les conséquences moléculaires afin d’identifier de nouveaux biomarqueurs associés à ces comportements. Ces travaux seront complétés par la poursuite d’une étude clinique déjà initiée, visant à mesurer les corrélations entre l’expression du récepteur 5-HT2B et de marqueurs d’inflammation dans le sang, et l’état dépressif et/ou suicidaire des patients.
Ainsi ce projet permettra, pour la première fois, d’établir un lien entre plusieurs facteurs précédemment suspectés de participer aux troubles dépressifs. Il devrait également aider à mieux comprendre la susceptibilité au suicide ou dépression et son lien avec la neuroinflammation. Les résultats pourront permettre d’identifier les mécanismes des antidépresseurs à base de sérotonine et d’en tirer des applications cliniques.
Les premiers résultats
L’équipe de Luc Maroteaux a testé l’effet du stress chronique chez des modèles murins dont soit les neurones producteurs de sérotonine soit les cellules microgliales, ne pouvaient plus répondre à la sérotonine via le récepteur 5-HT2B, ainsi que le potentiel aggravant d’épisode inflammatoires.
A l’aide de modèles murins, les chercheurs ont montré qu’un manque de récepteurs à la sérotonine 5-HT2B dans les neurones sérotoninergiques sensibilise à la dépression induite par le stress. Ils ont également montré qu’un manque de ce récepteur dans les cellules microgliales exacerbe la réponse neuro-inflammatoire à une inflammation périphérique et augmente la perte de poids.
D’un point de vue clinique, en analysant des marqueurs d’inflammation dans des échantillons de sang de patients, les résultats préliminaires de l’équipe montrent une corrélation entre ces marqueurs et l’évolution des idées suicidaires et autres symptômes de la dépression chez les patients suicidaires et/ou dépressifs. En outre, les chercheurs ont identifié plusieurs protéines dans le sang permettant potentiellement de prédire la survenue d’un évènement suicidaire au cours de 2 ans de suivi.
La suite de ce projet est désormais de tester l’interaction entre les marqueurs inflammatoires et l’expression du récepteur à la sérotonine 5-HT2B sur la prédiction du risque suicidaire dans le but d’aboutir à l’amélioration des stratégies de dépistage précoce du risque suicidaire et de traitement personnalisé.
Publications
Ce projet a donné lieu à 2 articles scientifiques publiés, permettant de rendre accessible ces résultats à toute la communauté scientifique :
– Bechade, C., I. D’Andrea, F. Etienne, F. Verdonk, I. Moutkine, Banas, SM, M. Kolodziejczak, S. Diaz, C. Parkhurst, G. W. B, L. Maroteaux and A. Roumier (2021). « Serotonin 2B receptor instructs neonatal microglia to limit neuroinflammation and sickness behavior in adulthood. » Glia 69: 638-654.
– Lengvenyte A, Belzeaux R, Olie E, Hamzeh-Cognasse H, Seneque M, Strumila R, Cognasse F, Courtet P. Associations of potential plasma biomarkers with suicide attempt history, current suicidal ideation and subsequent suicidal events in patients with depression: A discovery study. Brain Behav Immun. 2023 Nov;114:242-254. doi: 10.1016/j.bbi.2023.08.025.
Deux autres articles sont en cours de soumission à une revue scientifique et de révision. Par ailleurs, une communication a également été faite lors d’un congrès européen et le projet a également fait l’objet d’un chapitre d’ouvrage.
Depuis 2007, Luc Maroteaux est responsable de l’équipe « Sérotonine, microglie, plasticité et pathologies » à l’Institut du Fer à Moulin à Paris. L’équipe a notamment découvert que le récepteur à la sérotonine 5-HT2B agit dans le cerveau en augmentant les concentrations extracellulaires de sérotonine par un mécanisme de contrôle des neurones produisant la sérotonine, et que ce récepteur est impliqué dans des comportements impulsifs et dépressifs. Ils travaillent actuellement sur un concept original portant sur l’origine inflammatoire de certaines maladies psychiatriques en se focalisant toujours sur la sérotonine.
Le centre de recherche
L’Institut du Fer à Moulin est un centre de recherche consacré à l’étude du développement et de la plasticité du système nerveux. Cet institut a deux objectifs complémentaires : progresser dans la compréhension de la physiologie et de la physiopathologie du système nerveux et découvrir de nouvelles approches thérapeutiques.